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Le café de spécialité*, 12 ans après, déjà 12 ans

Published 02.03.2021
Le café de spécialité*, 12 ans après, déjà 12 ans

Il y a 12 ans, le café de spécialité débarquait en France avec une poignée de marques qui font encore figure de référence aujourd’hui. Elles étaient incarnées - et le sont encore pour la plupart - par des entrepreneurs passionnés. Certains avaient importé à Paris ce qu’ils avaient découvert dans les pays fondateurs du café de spécialité – États Unis, Australie, Nouvelle Zélande notamment. D’autres, dont je fais partie, voulaient appliquer au café, les notions de terroir et d’excellence propres aux produits gastronomiques.

Tous ont contribué à insuffler en France un vent de fraicheur sur une filière industrielle dominante et un réseau de petits torréfacteurs périclitant. Ensemble, nous avons contribué à faire émerger une filière dans la filière, un marché dans le marché, intégralement basé sur le principe de qualité. 12 ans après, nous pouvons tirer un premier bilan.

Une communauté

Il y a 25 ans, dans la foulée de la création de Starbucks aux États Unis, une poignée de road-trippers américains découvraient le café, son agriculture, sa « fabrication » et ses goûts, dans les fermes caféières d’Amérique Centrale.

Il s’agit là de la communauté primitive du café de spécialité, et ces jeunes gens allaient créer les principales enseignes de torréfaction, d’exportation et d’importation de café de spécialité, et donner naissance à une communauté bien plus large aujourd’hui, composée de millions de personnes, sur les cinq continents. Une communauté reliée par une passion commune, avec ses valeurs, ses métiers, ses codes, sa liturgie, ses reliques et un langage commun.

Un marché dans le marché

© Fabrice Leseigneur

Avec deux milliards de tasses bues dans le monde chaque jour, 255 kg consommés à chaque seconde, un chiffre d’affaires de plus de 200 milliards de dollars par an, le café représente un marché gigantesque, en constante progression de 2% par an depuis 50 ans, même en temps de crise. Au début perçu par les industriels comme un épiphénomène, voire une mode, le café de spécialité, porté par sa communauté grandissante, s’est également érigé en marché, avec une part de marché de 25% aux États-Unis.

En France, au sein d’un marché de 345 000 tonnes, à 5,8 milliards d’Euros, nous estimons la part de marché du café de spécialité à 5%, avec une progression exponentielle entre 2015 et 2019. Pour une analyse un peu plus fine du phénomène, notons que le taux moyen de croissance annuel de Terres de Café, et de la plupart de ses confrères français, entre 2015 et 2019 est de 35%.

Outre une clientèle d’amateurs de plus en plus importante, cette progression se traduit aussi par des milliers de professionnels - hôtels, restaurants, chaines de commerces alimentaires et non alimentaires, petites, moyennes et grandes entreprises - qui n’assument plus de proposer un mauvais café industriel.

C’est au tour de ces « relais » professionnels de faire découvrir à leurs clients et leurs salariés un breuvage digne, dans un entrainement qui semble aujourd’hui irréversible, et qui repose sur l’acceptation de récompenser la qualité par un prix d’achat plus élevé. C’est ce postulat désormais acquis qui va nous permettre de mettre en place des relations commerciales justes avec les producteurs, au sein d’une filière agricole plus durable.

Il est important de souligner que la crise sanitaire que nous traversons ne fait qu’accélérer le phénomène, avec un public plus concerné par ses achats alimentaires et de plus en plus équipé pour consommer du café grain. Les fabricants de robots café type Jura ou De’longhi n’ont jamais vendu autant de machines et achètent de l’espace publicitaire en prime time sur les chaines de télévision les plus regardées. Qui l’eut cru il y a encore un an ?

En 2020, nous avons accompagné l’explosion des commandes sur terresdecafe.com, la progression de nos points de vente, avec une demande toujours plus forte sur des cafés encore plus haut de gamme, par une clientèle de plus en plus large. Ces nouvelles bonnes habitudes ne changeront pas une fois la COVID contenue, car une fois que l’on a découvert le bon café, on ne revient jamais en arrière sauf contraint.

Une filière dans la filière

© Fabrice Leseigneur

Plus que jamais, l’économie du café repose sur un commerce d’entente entre les trois « torréfacteurs » mondialisés - JDE, Nestlé, Lavazza – qui à eux seuls concentrent 80% du marché mondial, une poignée de négociants de matières premières et les grands distributeurs qui n’ont aucun intérêt à voir les cours du café grimper.

Cette économie tient sur une agriculture intensive, une pression financière sur les producteurs, une vente à bas prix et une valeur ajoutée créée à plus de 80% dans les pays de destination. Le résultat est un cours boursier qui n’a guère évolué en 40 ans et un prix d’achat – aux alentours de 1$ la livre - qui ne couvre pas le coût de production à l’origine, hormis pour les méga plantations mécanisées brésiliennes ou vietnamiennes, grandes consommatrices d’engrais chimiques et de produits phytosanitaires.

Seulement voilà, 80% de la production mondiale provient de fermes de moins de 5 hectares qui n’arrivent plus à vivre dignement de leur travail et abandonnent la culture du café pour faire du maïs, de l’avocat, du soja, ou qui vendent leur ferme pour tenter l’aventure urbaine. En réalité, avec le réchauffement climatique, des sols souvent épuisés par la chimie, une déforestation massive, et un tissu social de producteurs et de travailleurs agricoles en grande précarité, la filière caféière traditionnelle vit une crise sans précédent. Une crise de sens et une crise financière. Dans ce décor peu réjouissant, la filière du café de spécialité se développe à grande vitesse.

Cette filière est capable de vendre des cafés plus chers car de meilleure qualité à un nombre croissant de consommateurs informés et responsables. Elle peut donc récompenser à son tour la qualité à l’origine par des prix d’achat de 2 à 100 fois supérieurs au cours du marché, en fonction de la qualité, de l’offre et de la demande, sur des volumes plus importants chaque année.

Alors que l’industrie cloisonne la filière (producteurs / torréfacteurs / consommateurs) pour mieux régner, les producteurs, les importateurs et les torréfacteurs de « specialty » échangent, partagent, innovent ensemble et inaugurent une économie de la connaissance au sein de leur filière. Les torréfacteurs entretiennent une grande transparence envers leurs clients grâce au principe de traçabilité qui régit notre métier, certains allant même jusqu’à communiquer le prix d’achat du café aux producteurs.

Après une révolution en marche de la consommation de café dans le monde, nous assistons à une véritable révolution en pays producteur avec des milliers de fermes ou de coopératives qui prennent le virage de la qualité versus la quantité, qui préservent la faune et la flore, qui construisent des écoles pour les enfants des travailleurs saisonniers, de meilleures structures d’accueil, qui forment leurs équipes pour optimiser la qualité, seule garante d’un prix d’achat élevé et d’une agriculture durable, qui elle-même a un coût, et qui inclus dans le prix du paquet de café de spécialité.

Les fermes pionnières de cafés de spécialité sont désormais des acteurs aussi convoités que les grandes maisons de vins. A l’instar des grands domaines bourguignons, elles accordent des allocations à leur clients historiques ou à des torréfacteurs qu’elles jugent dignes de leur production.

Pour une agriculture durable

© Fabrice Leseigneur

Lorsque nous défendons un modèle d’agriculture durable, au-delà de nos engagements personnels, nous partons d’un constat simple : les filières agricoles dites conventionnelles vont toutes dans le mur et entrainent notre écosystème avec elles. Ce dont a besoin notre filière, c’est de bon café chaque année et en quantité de plus en plus importante.

Ce n’est possible que si nous entretenons des relations équilibrées et de long terme avec des producteurs valorisés par la qualité de leur travail, si nous menons des projets en commun, si nous investissons sur la formation, si nous bannissons les intrants dans les cultures, si nous soutenons les conversions au bio et à la qualité, et enfin, le plus important, si nous favorisons l’agroforesterie, et notamment le café de forêt** qui est l’agriculture caféière la plus durable de toutes.

Soyons clairs, ce n’est ni le bio, ni la labellisation Fairtrade, ni le direct trade qui sont l’avenir des filières agricoles en général, mais la qualité. Et le grand enjeu des années à venir, me semble-t-il, va être d’expliquer simplement la complexité du concept de durabilité au plus grand nombre, afin que chaque acte d’achat ne soit pas destructeur de valeur, bien au contraire.

L’autre responsabilité des torréfacteurs de cafés de spécialité ces dix prochaines années va être de gérer leur croissance sans rogner ce principe de qualité, d’exigence et d’achat à juste prix aux producteurs. La production de cafés de spécialité peut facilement répondre à une demande croissante mais elle ne peut être harmonieuse que si le prix d’achat ne baisse pas. Puisse notre filière ouvrir la voie à des agricultures qui ne marchent plus sur la tête, et ouvrir les yeux du plus grand nombre.

Merci

© Fabrice Leseigneur

Enfin, merci à nos clients, de plus en plus nombreux, de nous faire confiance et d’être si fidèles. Sans vous, Terres de Café n’est rien.

Avec vous, Terres de Café peut innover, mener des  mener des projets en pays producteur, s’engager auprès des producteurs pour améliorer la qualité et acheter les cafés sur le long terme, s’équiper pour toujours plus affiner les torréfactions, optimiser la régularité, contrôler la fraicheur…Car augmenter la qualité en augmentant les volumes, c’est possible. C’est un état d’esprit, une exigence et un engagement.

Christophe Servell

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*Le café de spécialité se définit comme le meilleur de la production mondiale. Sa qualification est régie par un protocole de dégustation qui fait autorité mondiale, créé dans les années 90 par la Specialty Coffee Association Of America. Le café doit obtenir une note de dégustation d’au moins 80/100. Graduation SCAA 80 à 85 = Très bon café 85 à 90 = Café d’exception 90+ = café hors du commun

** Il est temps de tordre le cou à l’idée reçue encore trop utilisée par un grand nombre de journalistes et de professionnels comme quoi le café est la première matière agricole échangée dans le monde. Non, c’est la 18ème, après le soja, le riz, le blé etc. (Source : Standart Magazine le magazine spécialité standart – April 2020.)

*** L'agroforesterie* complexe (*culture des cafés de forêt) est le système de culture du café le plus vertueux au monde. Il permet de piéger le CO2 et participe ainsi à la lutte contre le réchauffement climatique. Les sols sont naturellement fertilisés, les températures et l'humidité régulées.

Les cafés de forêt sont d'une extraordinaire complexité et vivacité et leur valeur marchande offre une protection à la forêt et sa biodiversité. Enfin, les revenus générés par le café de forêt permettent aux communautés locales de rester chez elles en maintenant un savoir-faire séculaire.