Hausse des prix, la fin du café trop bon marché ?
La hausse spectaculaire des cours du café, 75% en un an, et 160% en cinq ans pour l’Arabica, 60% en un an et 290% en 5 ans pour le Robusta, est la conséquence directe d’une dégradation des niveaux de récolte due au réchauffement et au dérèglement climatique, et d’une hausse croissante de la demande mondiale.
Ces augmentations sont amplifiées par les stratégies des fonds spéculatifs qui anticipent la crise de l’offre qui va vraisemblablement s’installer dans le temps, et nous le souhaitons, rebattre les cartes d’une filière malade, qui traverse une crise économique, sociale et environnementale.
Une filière conventionnelle à bout de souffle
En réalité, cette crise était en germe dans le fondement même du commerce intercontinental du café, développé et intensifié par les nations colonialistes européennes aux 18ème et 19ème siècle. Les grandes plantations esclavagistes cultivaient le coton, la canne à sucre et le café pour en faire des produits de commodité, c’est-à-dire des produits de consommation de masse.
La première erreur fut de concevoir le café, qui est un produit complexe de terroir au coût de production élevé, comme un produit de commodité que l’on peut consommer sans compter.
La seconde erreur fut, après les abolitions de l’esclavage, et les décolonisations, de continuer à pratiquer un commerce issu des principes coloniaux, c’est-à-dire de générer la quasi-totalité de la valeur ajoutée en pays de consommation.
Aujourd’hui encore, les producteurs de café ne captent en moyenne que 10% de la valeur ajoutée du café. Dans cette filière conventionnelle qui concentre 90% du marché mondial, environ 50% vont aux trois grands torréfacteurs mondialisés (JDE©, Nestlé©, Lavazza©), et 40% aux grands distributeurs.
Région de Fortaleza, Brésil. Crédit photo : Fabrice Leseigneur
En d’autres termes, les cours du café ne couvrent pas les coûts de production des petits et moyens producteurs qui composent 85% de la filière. Les cours sont orientés par les méga plantations mécanisées brésiliennes aux coûts de production bien moindres, et par la pression entretenue par les grands torréfacteurs sur les producteurs.
Cette structuration du marché a entrainé la généralisation d’une agriculture productiviste dite conventionnelle, basée sur la déforestation et l’utilisation intensive de produits agrochimiques et agrotoxiques. Par ricochet, elle entraine l’épuisement et la pollution des sols, des nappes phréatiques, des rivières et des océans, et la disparition progressive des caféiculteurs dont l’âge moyen est actuellement de 59 ans, ainsi que des travailleurs saisonniers qui choisissent des tâches moins pénibles et plus rémunératrices, ou décide de migrer.
La hausse du niveau de vie, l’inflation, l’émigration, la crise de la vocation, les sécheresses, les gelées, les inondations et le réchauffement global, l’émergence de nouveaux marchés gigantesques comme la Chine, l’Inde et le Brésil, font exploser le prix des cafés et mettent à mal un système d’enrichissement à sens unique basé sur un marché de prix bas, donc de qualité médiocre, et socialement et écologiquement suicidaire à terme, et ce terme, nous y sommes.
Il n’y a en effet aucune raison de penser que les cours vont redescendre en dessous de 300 cents la livre. Ces cours ne tiennent même pas encore compte du rééquilibrage nécessaire pour la sauvegarde de la filière. Il est temps de mieux répartir la valeur ajoutée entre les pays producteurs et les pays consommateurs, seul gage de régénération et sauvegarde des écosystèmes, et de protection du métier de caféiculteur, et de durabilité globale de la filière.
Et le café de spécialité ?
Jusque dans les années 2020, le café de spécialité était assez décorrélé des cours des marchés de commodités. La demande était encore modeste, et la production conventionnelle couvrait largement la demande. Le calcul du prix reposant sur une base saine : coût de production + marge du producteur. A nous, torréfacteurs, de choisir de travailler ou pas, avec des producteurs qui intègrent le financement de la durabilité de leur production.
Aujourd’hui c’est différent. Non seulement les coûts de production sont aussi impactés par toutes les raisons exposées plus haut, mais aussi par une demande beaucoup plus importante d’un marché international du café de spécialité en forte croissance.
De plus, la raréfaction des arabicas de basse et moyenne altitude reporte les achats des torréfacteurs industriels sur des cafés de spécialité d’entrée de gamme, et vient créer une tension sur ce type de café.
Les hausses de tarifs ne concerneront donc pas seulement les cafés de supermarchés, mais tous les cafés, et ils continueront d’augmenter dans les années à venir.
En revanche, les cafés industriels seront encore de plus basse qualité alors que le marché monte en gamme avec une demande de plus en plus exigeante.
Revoir notre rapport au café, cette boisson énergisante, intime et sociale, qui rythme la journée pour le considérer comme un produit de terroir, issu de savoir-faire séculaires détenus par des communautés locales et des fermiers passionnés, garants de leurs écosystèmes permettra d’offrir un avenir au café. Cela passe inéluctablement par consommer mieux et moins. Le café n’est pas vital, c’est un plaisir, que trop peu de français mesurent.
Les pratiques de la filière du café de spécialité apportent beaucoup de réponses aux problématiques de la filière caféière – prix d’achat plus élevé, respect des terroirs, fixation des communautés, exigence de qualité, agriculture régénérative, agroforestière, biologique… Et c’est l’amplification de la transition déjà à l’œuvre de la consommation qui est à même de changer la donne !
Khalid Shifa et Christophe Servell dans les forêts caféières d'Ethiopie. Crédit photo : Fabrice Leseigneur
Et Terres de Café ?
Chez Terres de Café, nous nous sommes appuyés sur notre réseau de sourcing, sur la qualité et la constance des relations que nous entretenons avec la vingtaine de familles de producteurs avec qui nous travaillons en direct, et sur les projets à l’origine que nous menons depuis des années. Il s’agit de ne rien céder sur la qualité, et trouver les clés pour mener des augmentations qui ne soient pas le reflet de l’explosion des prix de marché.
Certains cafés augmenteront un peu, d’autres pas, et nous mettrons sur le marché tout au long de l’année quelques nouveaux cafés de manières à ne pas impacter le pouvoir d’achat de nos actuels ou futurs clients les plus modestes, qui continuent, ou commencent à nous faire confiance.
Christophe Servell